Il faut changer le regard sur les enfants placés
Dix-huit ans de placement
« J’ai été placé à la naissance car ma mère souffre d’une maladie mentale. De 18 mois à 5 ans, j’ai vécu dans une famille d’accueil très aimante. Mais lorsque ma famille a décidé de déménager dans le sud, les services sociaux ont refusé que je la suive car ma mère biologique habitait la région parisienne », raconte le jeune homme. Placé dans une nouvelle famille qui se révèle maltraitante, il est orienté vers une troisième famille où son comportement agressif commence à poser problème. Entre 10 et 14 ans, il vit dans un foyer des Yvelines. « Un calvaire, dit-il. Beaucoup de violence à la fois entre les enfants mais aussi de la part des professionnels. » Lyes rejoint alors un foyer « de rupture » dans le Calvados, coupé du monde. Puis retrouve finalement une famille d’accueil, « avec laquelle ça a matché tout de suite et qui s’est battue pour [le] garder. »
Au nom des enfants placés
Après tant d’années de galère, et en écoutant les anecdotes qu’on lui rapporte sur d’autres enfants placés, Lyes prend conscience qu’il n’est pas seul. « Je me souviens avoir fait une recherche sur Internet et n’avoir quasiment rien trouvé sur les enfants placés, ce qui m’a mis très en colère », dit-il. Il prend alors la plume pour raconter, « laisser une trace ». Son ouvrage Dans l’enfer des foyers paraît chez Flammarion. « Quand le livre est sorti, j’ai reçu un flot continu de témoignages de personnes de tous âges, qui avaient été (ou étaient encore) placées. Je me suis dit qu’il fallait s’impliquer davantage pour enrayer les violences au sein des institutions. » Repéré par Laurence Rossignol, alors secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées, de l’autonomie et de l’enfance, il participe à une grande concertation nationale en 2014, qui préfigure la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
Les motifs de la colère
Après l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, qui a supprimé ce secrétariat d’État, Lyes repart au combat. En janvier 2019, l’arrivée d’Adrien Taquet signe le « retour » de la protection de l’enfance. Mais depuis, c’est la douche froide. Le premier motif de colère remonte à 2018 avec la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, « largement sous-dotée par rapport aux besoins et basée sur la contractualisation avec les départements, ce qui risque d’aggraver les inégalités territoriales », indique Lyes. Puis il y a la proposition de loi de Brigitte Bourguignon, présidente de la commission des affaires sociales, visant à renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie. « Nous avons créé un collectif #LaRueÀ18Ans pour soutenir ce projet, souligne Lyes. Mais le jour de l’examen en séance publique, le gouvernement a déposé une série d’amendements qui a modifié le texte… et qui aggrave même le statut-quo. »
Pourquoi la FCPE ?
Venu témoigner à la tribune de la FCPE, Lyes Louffok en appelle à la vigilance des parents d’élèves et à un changement de regard. « Il y a un travail à faire au sein de l’école pour faire prendre conscience à tous (parents, équipe éducative) que l’on existe, dit-il. Il y a encore beaucoup de gens qui pensent que l’école se fait dans les foyers. Non, on est dans les mêmes écoles que vos enfants, mais à la différence des autres, on n’a pas nos parents, donc on a des difficultés qui se rajoutent ! » Lutter contre la stigmatisation (« les enfants placés sont encore trop souvent assimilés à des délinquants, remarque Lyes. Comme s’ils étaient responsables de leur placement ») et contribuer à repérer les enfants en souffrance. Car, comme il tient à le rappeler : « L’école peut être le lieu où la parole se libère au sujet des violences institutionnelles. »
Chiffre-clé
Infos pratiques
Colloque national de la FCPE sur les droits des enfants et des jeunes
Lors du colloque d’Arras organisé par la FCPE le 16 novembre dernier, la table ronde animée par Eric Labastie, secrétaire général adjoint de la fédération, et consacrée à l’exercice du droit pour les enfants et les jeunes, a été l’occasion pour des intervenants venus d’horizons divers d’aborder chacun cette thématique sous un angle différent.Tout d’abord, Mathieu Devlaminck, vice-président de l’Union nationale lycéenne (UNL) a mis en avant les difficultés pour les lycéens d’exercer leurs droits, pourtant reconnus par le code de l’éducation. Lyes Louffok a ensuite axé son intervention sur le non-respect, en France, du droit à la protection pour les enfants, en particulier pour les enfants placés. Arnaud Riquier, responsable du service citoyenneté et vie étudiante de la ville d’Arras, a quant à lui présenté le conseil municipal d’enfants et de jeunes de la Ville d’Arras et sa mission de développer la citoyenneté des plus jeunes en leur offrant un lieu de parole. Enfin, Serge Vanderkelen, médiateur académique de Lille, a rappelé le rôle d’un médiateur au travers de cas pratiques auxquels il a été confronté dans le cadre de ses fonctions.