Lycée pro : des réformes qui interrogent

La réforme de l’enseignement professionnel, engagée depuis quatre ans, se concrétise, dès cette année, par de nouvelles mesures. Aziz Jellab, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), responsable du pôle voie professionnelle et Alixe Rivière, administratrice nationale de la FCPE nationale, en charge du suivi de la réforme professionnelle, confrontent leurs points de vue.

Créer des campus professionnels « Nouvelle génération », renforcer les liens avec le monde économique, mieux accompagner les élèves… Telles étaient les ambitions de la réforme de la voie professionnelle annoncée par le gouvernement en 2018. Selon Aziz Jellab, inspecteur général de l’Éducation nationale, qui suit cette réforme, « un tel focus sur la voie professionnelle est assez historique. Le point le plus ambitieux est, selon moi, la volonté de favoriser la persévérance et de lutter contre le décrochage scolaire qui avoisine les 5 à 10 %, soit deux fois plus d’élèves qu’en voie générale. »

Une minoration des enseignements généraux

Plus concrètement, cela s’est traduit à partir de 2019 par plusieurs changements : choix d’une spécialité en première et non plus en seconde, réduction des heures dédiées à l’enseignement général tel que le français ou l’histoire, réalisation d’un « chef d’œuvre final… ». « Des mesures qui ont surtout réduit la possibilité pour ces jeunes de s’adapter aux évolutions du monde du travail en réduisant l’enseignement des matières fondamentales. C’est une grande déception, tout comme la réalisation d’un “chef d’œuvre”, qui est une fausse bonne idée et restreint le champ des compétences de façon évidente », estime Alixe Rivière de la FCPE.

Selon une annonce gouvernementale en mai dernier, les lycéens de la voie pro auront aussi désormais la possibilité d’effectuer plus de stages en entreprise, notamment durant le mois de juin en terminale. Une mesure qui ne manque pas non plus d’interroger.  « Comment peut-on proposer de passer de 16 à 22 semaines de stage à désormais 34 semaines sachant combien ces stages sont difficiles à trouver ? Ces jeunes vont se retrouver réorienter vers le SNU ou se retrouver chez eux, ce qui est une porte ouverte vers le décrochage scolaire », s’alarme Alixe Rivière.

La création de « bureaux des entreprises »

Sur ce point, Aziz Jellab se veut rassurant. La réforme prévoit en effet la création de « bureaux d’entreprises » ayant vocation à aider les jeunes à trouver des stages. « Près de 600 emplois de professionnels ont été créés cette rentrée pour ces bureaux des entreprises, soit du personnel uniquement dédié à ces missions, ce qui n’était pas le cas auparavant. Cela va aussi apporter une meilleure visibilité au niveau des entreprises et faciliter les partenariats ». Mais pour Alixe Rivière, « ces nominations sont loin de couvrir les besoins, et ce d’autant que les semaines de stage sont plus nombreuses. La réalité est qu’on voit surtout des professeurs chargés de cette mission sur deux à trois établissements et que la communication sur ces bureaux des entreprises auprès des parents est très balbutiante. »

Des stages gratifiés dès cette année

Autre nouveauté, dès cette année, une enveloppe gouvernementale de 1 milliard d’euros sert à gratifier les lycéens en stage : 50 € en 2nd, 75 € en 1re et 100 € en terminale par semaine. Selon l’inspecteur général de l’Éducation nationale, cette mesure a le mérite « de poser le lycée professionnel comme un acteur qui contribue au monde économique ». Appréciée par les lycéens, qui y voient une reconnaissance des efforts réalisés en stage, cette rémunération avec de l’argent public ne fait pourtant pas l’unanimité. « On aurait au mieux pu faire 50% État - 50 % entreprises. On peut dénoncer aussi des dérives de la part d’entreprises qui considèrent parfois ces jeunes comme une main d’œuvre corvéable et jetable, et qui cessent souvent de les employer quand ils ne touchent plus d’aides », pointe Alixe Rivière.

2024-2025 : des épreuves de bac programmées en mars

À la rentrée prochaine, le calendrier des épreuves écrites du bac, sera modifié avec des examens programmés en mars. « Cela va permettre aux élèves de choisir entre effectuer un stage en fin d‘année ou suivre des modules de connaissances générales pour poursuivre dans le supérieur. C’est sur ce point qu’ils rencontrent des difficultés pour suivre en BTS. L’idée d’adapter la formation en fonction du projet du jeune, c’est un vrai changement, tout comme une volonté de personnaliser les parcours, avec le choix de plus d’options pendant le lycée et la possibilité de poursuivre ses études avec la création de certificats à réaliser en un an après le bac », énonce Aziz Jellab.

L’orientation, point faible de la réforme

Sur ce point, la représentante FCPE, elle, dénonce le flou actuel des programmes de ces modules préparatoires et une offre de formation, qui dans la réalité, est souvent aux mains du privé. « L’État est très présent dans des secteurs tels que la restauration ou la mode, mais ne l’est pas dans des secteurs pourtant porteurs d’avenir tels que la transition énergétique ou l’IA », ajoute Alixe Rivière, pour qui enfin, l’orientation est aussi l’un des points faibles de cette réforme, « avec soi-disant 54 heures dédiées qui sont, dans les faits, pris sur les heures d’accompagnement personnalisé et un manque très important de psychologues de l’Éducation nationale. Contrairement aux promesses faites, l’accompagnement humain, pourtant crucial, n’est pas là. »

Appel à témoignages

Parmi les mesures annoncées par le président de la République pour réformer le lycée professionnel, figure la création au sein de chaque lycée pro, d’un bureau des entreprises.
Qu’en est-il dans vos départements respectifs ? Un bureau des entreprises a-t-il été créé dans les lycées professionnels où vous êtes parents d’élèves ?
N’hésitez pas à nous faire un retour sur votre expérience de terrain à l’adresse fcpe@fcpe.asso.fr