« Tout est mis en œuvre pour réintroduire un tri social »
Quels sont, selon vous, les principaux dangers de cette réforme ?
Laurence De Cock : Le premier danger est qu’elle minore les enseignements généraux, via la réduction du volume horaire des matières comme le français, l’histoire-géographie, les maths ou la physique-chimie. Il s’agit d’une signal inquiétant qui consiste à penser qu’une catégorie d’élèves – 30 % environ de la jeunesse de notre pays – n’a pas besoin de poursuivre, au-delà du collège, des enseignements de nature à nourrir son orientation et surtout à lui apporter un savoir éclairant. Cela revient à dire : vous allez faire un métier manuel, vous allez devenir des agents économiques, alors pourquoi vous enseignerait-on l’histoire du monde ou les pièces de Molière ? Outre la déconsidération que cette mesure jette sur les élèves de la voie professionnelle, elle risque de porter préjudice à leur parcours.
En quoi la minoration des enseignements généraux porte-t-elle préjudice au parcours des élèves ?
Elle a pour conséquence d’enfermer chaque élève dans une voie dont il ne pourra plus sortir. En effet, faute de savoirs généraux suffisants, il n’aura plus la possibilité de bifurquer vers l’université, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Or, il n’est pas rare que des élèves « choisissent » la voie professionnelle à un moment de leur vie où ils sont en rupture avec l’école, traversent une passe difficile, tout en prenant conscience quelques années plus tard que ce n’était pas ce qu’ils souhaitaient. À cause de l’orientation précoce induite par la réforme, ces élèves-là seront désormais condamnés à rester dans une voie professionnelle. Là encore, cela revient à leur dire : vous avez 14 ans – un âge où par définition personne n’est encore déterminé sur ce qu’il veut faire plus tard – mais nous allons décider pour vous de la voie qui vous est destinée.
Par ailleurs, la réforme vise à développer les partenariats avec le monde de l’entreprise et à renforcer le rôle des régions, que faut-il comprendre selon vous ?
L’idée sous-jacente est que l’État se déleste progressivement de sa responsabilité éducative sur les régions, elles-mêmes soutenues par des financements issus d’organismes privés comme les chambres de commerce. L’objectif à moyen terme est de sortir de l’Éducation nationale une partie de la jeunesse pour la faire entrer dans l’apprentissage qui devient central. Mais attention, cette réforme de la voie professionnelle n’est pas à considérer isolément du reste. Elle fait partie d’une politique publique éducative globale, qui va de la maternelle jusqu’à l’université – avec Parcoursup, par exemple, qui ferme la porte de l’université aux profils atypiques – et qui réintroduit de manière assumée un tri social. Autrement dit : on bat en brèche l’idée-maîtresse qui a toujours guidé les réformes de l’Éducation nationale, à savoir la démocratisation de l’éducation et un égal accès aux savoirs quels que soient son appartenance sociale, son sexe ou ses origines culturelles.